Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 14 juin 2024.
Marché de l’électricité
Réforme et projet de lois, la politique au cœur de l’énergie
Au cours de cette semaine, les prix de clôture de l’électricité en France ont tous affiché une baisse, marquée par des évolutions distinctes selon les horizons.
Pour l’année 2025, le prix de l’électricité a chuté à 69,96 €/MWh, enregistrant une diminution notable de 4,33 €/MWh. Le tarif pour 2026 a également baissé, atteignant 60,89 €/MWh, soit une réduction de 1,18 €/MWh. En 2027, le prix de clôture a légèrement diminué à 57,90 €/MWh, avec une baisse de 0,35 €/MWh.
Ces mouvements indiquent une correction des prix, particulièrement prononcée pour l’échéance 2025, tout en montrant une stabilité relative pour les échéances plus éloignées.
Politique : Économie vs Écologie
Depuis les annonces du Président Macron concernant la dissolution de l’Assemblée nationale, les partis politiques s’activent pour reprendre le pouvoir, et l’énergie occupe une place centrale dans les débats. Les deux grands favoris, le Rassemblement National (RN) et le Front Populaire, abordent ce sujet crucial en proposant des réformes et des projets de loi.
Le rassemblement national
Le RN souhaite obtenir une dérogation aux règles du marché européen afin de se libérer des mécanismes actuels de fixation des prix (marginalité et couplage des marchés). L’objectif est de fixer un prix de marché français plus compétitif, reflétant les coûts de production du parc nucléaire, ce qui permettrait de réduire la facture d’électricité de 30 à 40%. Bien que cette promesse soit séduisante, elle est considérée comme utopique par de nombreux spécialistes.
La France importe de l’électricité de ses voisins européens, notamment en hiver. Se retirer des marchés européens signifierait qu’on paierait plus cher l’électricité importée et qu’on se priverait également des milliards de recettes liées aux exportations le reste de l’année. De plus, dans le cadre de la réforme Post-Arenh, des désaccords persistent depuis plusieurs mois entre EDF et la CRE sur le coût réel du nucléaire. Fixer un prix de vente proche des coûts de production semble également extrêmement complexe.
Il est important de souligner que la hiérarchie des lois permet à la Commission européenne de rejeter cette dérogation, car elle violerait les règles établies du marché européen de l’électricité.
Enfin, une victoire du RN pourrait être perçue comme un recul pour les objectifs français en matière d’énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Nouveau Front Populaire
La partie de la gauche a dévoilé son programme vendredi dernier. Cette coalition a une optique bien plus écologique qu’économique en ce qui concerne l’énergie. Ils souhaitent mettre en place un plan climat visant la neutralité carbone en 2050 en renforçant la filière des énergies renouvelables nationales. L’objectif à terme est de devenir leader européen des énergies marines, notamment avec l’éolien offshore et le développement des nouvelles énergies hydroliennes. Leur projet inclut également un refus de la privatisation des barrages hydroélectriques (détenus par EDF), malgré l’exigence de mise en concurrence par la Commission européenne, réfutée par les présidents Hollande et Macron.
Bien qu’ils semblent d’accord sur la trajectoire que doit adopter la France en matière de renouvelables, il existe historiquement une discorde quant à la place du nucléaire, pourtant aujourd’hui indispensable. Marine Tondelier, cheffe de file des écologistes, qualifie les nouveaux EPR de « faillite financière » et suggère d’investir l’argent public ailleurs.
Les scénarios du rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE suggèrent que le scénario mixte, combinant nouveau nucléaire et renouvelables, est considéré comme le plus pragmatique et réalisable du point de vue des ambitions et de l’économie.
Conclusion sur le marché de l’électricité
Comme pressenti la semaine précédente, le prix de l’électricité continue de baisser malgré l’instabilité politique actuelle en France. En effet, le marché ne considère pas les propositions de dérogation du RN comme viables et réalisables, ce qui n’a que légèrement impacté la prime de risque.
En passant sous la barre symbolique des 70 €, l’année 2025 redevient extrêmement intéressante d’un point de vue économique, atteignant son plus bas niveau depuis plus de trois mois.
Les résultats des élections européennes sont finalisés, mais certains groupes d’eurodéputés doivent encore s’affilier à un mouvement. Dans l’état actuel des choses, le parti des Verts affiche une perte de 35 % de ses sièges, se retrouvant avec 52 eurodéputés, tandis que le parti d’extrême droite en possède plus de 130. Mener une politique court-termisme anti-renouvelable pourrait permettre des économies pour les Européens en réduisant les taxes, notamment sur les énergies fossiles, mais ces lacunes se feront sentir dans quelques années, nécessitant des efforts écologiques démultipliés.
Bien que les élections nationales françaises semblent déjà intégrées par les marchés, il faut rester à l’affût d’une surprise électorale qui pourrait à nouveau bouleverser la stabilité du marché européen. Le marché de l’électricité devrait rester stable cette semaine en attendant le résultat des élections.
– Clément Tuffery,
Analyste Pricing chez Capitole Energie
Marché du gaz
La Russie vs Le monde, une partie d’échec interminable
Sur le marché gazier, les prix de clôture des différents produits calendaires en France montrent une tendance à la hausse pendant la semaine 24.
Pour l’année 2025, le prix du gaz se fixe à 36,794 €/MWh, marquant une augmentation de 1,37 €/MWh par rapport à la semaine précédente. Pour l’année 2026, le prix s’établit à 32,117 €/MWh, avec une hausse de 1,256 €/MWh. Enfin, pour l’année 2027, le prix du gaz est de 28,092 €/MWh, enregistrant une augmentation de 0,982 €/MWh.
Vers une rupture totale des partenariats énergétiques entre la Russie et l’UE ?
Comme nous l’avions évoqué la semaine dernière, la Norvège, les Etats-Unis et le Qatar sont devenus des acteurs majeurs du marché mondial du gaz. Ils remplacent progressivement la Russie qui auparavant, était le principal exportateur de gaz de notamment vers l’UE. Actuellement, les interdictions concernent seulement les importations de pétrole et de charbon russe à la suite d’invasion de l’Ukraine. L’importation de gaz a aussi été fortement ralentie. En plus de ces sanctions, l’UE vise à éliminer progressivement toutes ces importations provenant de Russie, d’ici 2027.
Le changement de plan russe, entravé par une stratégie chinoise bien ficelée
Depuis plusieurs mois, la Russie essaye de changer son fusil d’épaule et donc de se tourner vers d’autres partenaires énergétiques. Nous avons tout d’abord, une négociation avec la Chine, qui maintenant dure depuis plusieurs années, mais qui n’a toujours pas abouti. Il s’agit de la construction du gazoduc Power of Siberie-2, qui transporterait 50 milliards de mètres cubes de gaz naturels par an, de la région de Yamal, à la Chine, via la Mongolie.
En revanche, les discussions sont à l’arrêt, en raison des demandes de prix jugées excessives par Moscou. De plus, la Chine ne s’engage qu’à acheter une fraction de la capacité annuelle prévue. La Chine se sert donc de la position délicate dans laquelle se trouve la Russie, pour obtenir les conditions les plus avantageuses possibles. Un échec de la mise en place de ce projet, pourrait obliger la Russie à chercher d’autres partenaires commerciaux, compliquant ainsi sa stratégie à long terme.
Emergence de nouvelles technologies pour remplacer progressivement le gaz
Il y a eu à Belfort dernièrement, l’inauguration de la première usine d’électrolyseurs, concernant la production d’hydrogène vert. Dans un futur proche, cette énergie pourra progressivement remplacement le gaz, notamment en France. Actuellement, c’est encore compliqué, car les infrastructures, doivent bénéficier de la compétitivité des prix de l’électricité, pour fonctionner à moindre coût. Ce n’est encore pas totalement le cas.
Conclusion sur le marché du gaz
En voyant le verre à moitié rempli, nous pouvons constater que le marché du gaz est plutôt stable depuis janvier 2024. Si nous prenons le calendaire n+1 en produit de référence, une variation de 8,76% est observée. Ce chiffre est bien en dessous des 24% en 2023, ou 72% en 2022, que nous avions connu sur la même période. Le point positif, c’est que même lorsque nous comparons avec 2021 ou le prix du gaz était plutôt compétitif, la variation sur cette période était de l’ordre de 38 %.
Plus en détail sur cette deuxième semaine de juin, les différents calendaires subissent une légère hausse.
Comme nous le répétons lors des différentes analyses, les nouvelles technologies amenées à substituer le gaz dans un futur proche, ne sont pas encore totalement optimales. La stabilité du marché du gaz repose donc encore énormément sur les différents partenariats qui sont signés dans le monde, au sujet de l’approvisionnement en gaz. Concernant l’exemple cité précédemment, si la Chine ne se met d’accord avec la Russie, cela pourrait avoir un impact sur l’équilibre offre/demande de gaz. La Chine étant un gros consommateur de gaz au vu de son activité économique fleurissante, ce pays pourrait se tourner vers d’autres partenaires, et donc apporter des tensions supplémentaires sur la demande de gaz mondiale. Cet épisode est bien évidemment à suivre de très près.
– Yanice Meguenni,
Analyste Pricing chez Capitole Energie
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Marché du pétrole
Correction haussière des prix du pétrole
On observe une correction à la hausse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. Après avoir chuté sous les 80 $/bbl sur la première semaine de juin, le Brent est repassé au-dessus de ce seuil cette semaine en clôturant ce vendredi 14 juin à 82,62 $/bbl (soit une hausse de +3,77 % en une semaine). Les prix de gros retrouvent alors les niveaux du mois de mai.
Du point de vue de la réaction du marché, les investisseurs considèrent que la récente vente de pétrole brut a été exagérée. Certains analystes suggèrent que la hausse des prix peut s’expliquer en partie par un rebond naturel intervenant à la suite de la chute des cours la semaine précédente. Le marché a également été soutenu par l’anticipation d’une augmentation de la demande estivale .
Les Etats-Unis prévoient une accélération de la reconstitution de leurs réserves stratégique de pétrole impactant la demande à la hausse. Les investisseurs attendent également la publication des données sur l’inflation américaine par la FED qui pourraient influencer les taux d’intérêt, et par conséquent impacter sur la demande de pétrole.
Un excédent majeur sur les marchés du pétrole à horizon 2030 – AIE
L’AIE prévoit un « excédent majeur » sur les marchés du pétrole à horizon 2030 en raison de la stabilisation de la demande mondiale couplée à une augmentation de la production mondiale.
La demande mondiale de pétrole devrait ralentir à mesure que la transition énergétique progresse : essor des énergies renouvelables, amélioration de l’efficacité énergétique des voitures thermiques, accélération des voitures électriques, etc.
Néanmoins, l’AIE prévoit ainsi que la demande mondiale de pétrole se stabilisera à environ 106 millions de barils par jour, contre environ 102 millions de barils par jours en 2023. Une légère hausse tirée par les économies émergentes (économies chinoise et indienne) alors que nous la demande des économies avancées devrait baisser.
En parallèle, la production mondiale de pétrole devrait croître sous l’impulsion des pays producteurs non-membres de l’OPEP+, comme les Etats-Unis. La capacité totale de production pourrait atteindre environ 114 millions de barils par jour à horizon 2030, soit supérieure à l’estimation de la demande mondiale d’environ 8 millions de barils par jour.
Zoom énergie verte
Hydrogène en France : défis et ambitions pour les années à venir
L’hydrogène est de plus en plus considéré comme une solution clé pour la transition énergétique et la décarbonation en France. Avec des initiatives variées et un engagement fort des acteurs industriels et gouvernementaux, la France vise à développer une capacité substantielle d’électrolyseurs et à intégrer l’hydrogène dans diverses applications industrielles et de mobilité. Cependant, des défis subsistent, notamment en termes de passage à l’échelle et de politique incitative.
La France s’est fixée des objectifs ambitieux pour le développement de l’hydrogène, avec une cible de 6,5 GW de capacité d’électrolyse d’ici 2030 et 10 GW d’ici 2035. Cet effort s’inscrit dans une stratégie plus large de décarbonation et de transition énergétique, alignée avec les objectifs européens de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable par an d’ici 2030.
En Île-de-France, des projets tels que le site H2 à Créteil sont en cours, avec des travaux récemment entamés pour soutenir la production et la distribution d’hydrogène vert. Ce site vise à devenir un pôle majeur pour l’hydrogène dans la région parisienne.
Des efforts sont également concentrés autour de bassins industriels clés comme Dunkerque et l’Alsace, où GRTgaz collabore avec des consommateurs industriels pour développer des infrastructures d’hydrogène. Ces initiatives visent à créer des écosystèmes régionaux robustes pour soutenir l’industrie lourde et la mobilité durable.
Malgré ces ambitions, la France devrait manquer son objectif initial de cinq ans, atteignant probablement 6,5 GW en 2035 plutôt qu’en 2030. À la fin de 2023, la capacité des électrolyseurs était seulement de 30 MW. Ce retard est principalement dû à des défis technologiques pour développer l’électrolyse et à la nécessité de fortifier des infrastructures à grande échelle. Bien que la demande ne soit pas un problème, le développement de capacités suffisantes pour une production compétitive reste un défi. Les coûts de production doivent être maîtrisés pour aligner les prix de l’hydrogène en France avec ceux de pays comme l’Allemagne et l’Espagne.
La complexité des incitations financières européennes pour l’hydrogène renouvelable freine également les investissements. Une clarté et une stabilité politique sont nécessaires pour encourager les industriels à s’engager pleinement dans le développement de l’hydrogène.
Cependant, le projet de dorsale hydrogène européen, qui vise à construire un réseau de 39 700 km entre 21 pays d’ici 2040, représente une opportunité majeure pour la France. Ce réseau facilitera le transport et l’échange d’hydrogène à travers l’Europe, soutenant ainsi la compétitivité de l’hydrogène français sur le marché européen.
Les investissements dans la recherche et le développement, ainsi que dans des projets pilotes, sont cruciaux pour surmonter les obstacles actuels. La France doit continuer à investir dans des technologies et à développer des collaborations internationales pour accélérer le développement de son secteur hydrogène.