Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 22 novembre 2024.
Marché de l’électricité
Électricité Française : pilier de la transition énergétique
En pleine entrée hivernale, la demande d’électricité française a bondi, atteignant un pic de 59,9 GW en raison d’une baisse des températures. Cette hausse met en lumière l’importance cruciale de l’électricité dans le système énergétique européen, où la France se distingue en doublant ses échanges en octobre 2024 pour atteindre 94,8 TWh.
Ce dynamisme contraste avec le recul de marchés comme celui des Pays-Bas, où la transition énergétique peine à s’adapter aux réalités climatiques et économiques. Sur le marché du carbone, la baisse des quotas d’émission à 69,39 €/t, après avoir flirté avec les 71 €/t, reflète une transition en tension. L’affaiblissement des prix du carbone réduit la compétitivité des centrales à gaz face au charbon, ce qui pourrait entraver les efforts climatiques. Pourtant, les marchés restent volatils, influencés par une reprise spéculative des positions longues sur le carbone et une demande accrue liée à la hausse des prix du gaz.
À la une
Centres de données : la soif insatiable d’électricité
L’essor des centres de données en Europe pourrait transformer le paysage énergétique d’ici 2030, avec une augmentation de 75 % de leur demande d’électricité, selon une analyse publiée récemment par le cabinet ICIS.
Cette montée en flèche, alimentée par la croissance fulgurante de l’intelligence artificielle et le besoin croissant de stockage de données, porterait la consommation énergétique de ces infrastructures à 168 TWh/an en 2030, contre 96 TWh/an aujourd’hui, et jusqu’à 236 TWh/an d’ici 2035.
Cependant, cette demande n’est pas répartie uniformément à travers le continent. Si les grands marchés comme l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni dominent en termes absolus, certains plus petits, tels que l’Irlande et les pays nordiques, font face à des défis spécifiques. L’Irlande, où les centres de données absorbent déjà 21 % de l’électricité nationale, est au bord de la saturation, et le Danemark pourrait bientôt suivre le même chemin. Ces contraintes s’expliquent par la combinaison d’une faible demande énergétique globale et d’une concentration intense de ces infrastructures.
En parallèle, l’Espagne se profile comme un nouvel acteur majeur grâce à ses prix compétitifs et sa forte proportion d’énergies renouvelables. À l’échelle européenne, les centres de données représenteront 14 % de la croissance énergétique totale prévue d’ici 2030, exerçant une pression croissante sur les réseaux électriques et appelant à des stratégies d’optimisation.
Le défi sera de concilier cette expansion avec la durabilité énergétique, notamment dans les régions déjà sous tension.
Les tendances électricité de la semaine par notre expert
Innovations, investissements et défis politiques.
L’actualité énergétique européenne témoigne de transitions stratégiques majeures, entre innovation et incertitudes politiques. En Grèce, le projet ambitieux d’interconnexion des îles du Dodécanèse au réseau électrique continental, via un câble sous-marin de 380 km d’une valeur de 1,42 milliard d’euros, marque une avancée cruciale. Porté par l’opérateur Ipto, ce chantier renforcera la sécurité énergétique, accélérera la transition loin du pétrole et devrait réduire les prix pour les consommateurs insulaires.
En Espagne, Endesa ajuste sa stratégie face à la volatilité du marché solaire, misant désormais sur l’éolien et l’hydroélectrique. Avec un plan d’investissement de 3,7 milliards d’euros pour 2025-2027, l’entreprise prévoit une croissance de 32 % de sa capacité renouvelable pour atteindre 25 TWh d’ici fin 2027. Tandis que le solaire peine à offrir une rentabilité compétitive, le basculement vers des actifs éoliens et hydroélectriques illustre une recherche de stabilité.
En Allemagne, l’incertitude politique freine la législation sur des centrales à gaz prêtes pour l’hydrogène, retardant des projets clés nécessaires pour compenser la fermeture progressive des centrales au charbon. Si ces infrastructures peuvent être opérationnelles en 3 à 5 ans, l’instabilité gouvernementale pourrait compromettre les objectifs énergétiques ambitieux d’ici 2030.
– Helder FARIA RUBIO,
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Marché du gaz
L’Europe, otage de sa propre dépendance
En parallèle, le gaz continue de dominer les préoccupations énergétiques européennes. Avec des stocks à 89,4 %, légèrement en deçà des niveaux de l’an dernier, l’hiver s’annonce tendu. Si les flux russes via Gazprom sont maintenus, les sanctions américaines contre Gazprombank accentuent la fragilité de ces approvisionnements. La montée des prix du GNL illustre l’intensification de la concurrence entre l’Europe et l’Asie. Face à des températures plus froides et à une demande accrue, les importations européennes de GNL battent des records, renforçant la dépendance aux exportations américaines. Les ports européens s’imposent comme des carrefours stratégiques, détournant même des cargaisons initialement prévues pour l’Asie.
Toutefois, l’ombre de perturbations géopolitiques plane, notamment avec la suspension des flux vers l’Autriche, amplifiant la volatilité des marchés. Dans ce contexte, l’Europe s’efforce de diversifier ses sources, misant sur le gaz azerbaïdjanais et les capacités croissantes de GNL.
À la une
La soif insatiable de GNL de l’Europe face à la concurrence asiatique
L’Europe s’impose cet hiver comme un acteur incontournable sur le marché mondial du GNL, marquant des sommets de prix inégalés en un an. À 14,15 USD/MMBtu (45,62 EUR/MWh) pour les livraisons de décembre, le prix européen dépasse largement celui observé en Asie.
Cette tendance est amplifiée par les tensions géopolitiques et la réduction des approvisionnements russes, Gazprom ayant annoncé une baisse de ses livraisons à OMV, l’opérateur autrichien.
L’Europe, confrontée à un hiver marqué par des conditions météorologiques rigoureuses et des tensions accrues entre la Russie et l’Occident, attire jusqu’à une dizaine de méthaniers initialement destinés à l’Asie. Si les prix asiatiques restent modérés – autour de 13,58 à 14,25 USD/MMBtu – la demande européenne élevée redirige les flux mondiaux.
Les sanctions récentes contre Gazprombank et les craintes d’une escalade de la guerre en Ukraine alimentent les spéculations sur une rupture d’approvisionnement pour certains pays européens.
Cette concurrence féroce place l’Asie en posture d’observateur prudent. Bien que la demande reste faible dans des régions comme l’Asie du Nord-Est, des poches de résistance émergent, certains acheteurs cherchant à sécuriser des volumes avant une possible chute des températures.
Les tendances gaz de la semaine par notre expert
L’Europe face à l’ultimatum énergétique russe.
L’Europe se trouve une fois de plus confrontée à un dilemme énergétique complexe, sous-tendu par des tensions géopolitiques exacerbées. Le prix du GNL sur le marché européen a grimpé à des sommets inédits depuis un an. Pourtant, malgré la fin imminente de l’accord de transit gazier entre la Russie et l’Ukraine, l’impact sur la sécurité énergétique européenne reste limité grâce à des importations de GNL et à des alternatives croissantes.
L’Europe a réduit sa dépendance aux hydrocarbures russes, ramenant les importations de gaz via pipeline à moins de 10 %, contre plus de 40 % avant 2022. Le stockage de gaz atteint 92 % de sa capacité, et la diversification des sources, notamment via le Qatar et les États-Unis, a renforcé la résilience du continent. Toutefois, l’hiver rigoureux à venir pourrait accentuer la concurrence avec l’Asie pour le GNL, alimentant une flambée des prix mondiaux.
Sur le front politique, un nouvel accord de transit russo-ukrainien semble improbable, Kiev rejetant toute renégociation sans concessions majeures. L’Azerbaïdjan, perçu par certains comme une alternative, peine à fournir des volumes significatifs. L’UE devra donc ajuster sa stratégie énergétique tout en poursuivant son désengagement des combustibles fossiles russes d’ici 2027. Les tensions croissantes soulignent une réalité : l’énergie reste une arme stratégique, autant qu’un talon d’Achille pour un continent en quête d’autonomie.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
Les défis de l’hydrogène renouvelable et les turbulences financières de Northvolt
L’hydrogène renouvelable, censé jouer un rôle clé dans la transition énergétique, peine à s’imposer en Europe, notamment en raison des difficultés liées à son stockage et à la régulation. Charlotte Roule, PDG de Storengy, a souligné l’urgence d’une réglementation claire sur le stockage de l’hydrogène, afin de stimuler les investissements dans les infrastructures nécessaires à son développement. Si l’Union européenne a fixé des objectifs ambitieux pour 2030, comme la production de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert et l’importation de volumes équivalents, les projets restent entravés par des délais de développement longs, pouvant aller de six à dix ans.
L’Union européenne a besoin de 45 TWh de stockage d’hydrogène d’ici 2030 pour soutenir son plan RePowerEU, mais les réserves actuelles ne couvrent que 9 TWh. L’UE devra donc faire face à des défis de taille pour atteindre ses objectifs en matière de décarbonation, notamment dans la gestion de l’intermittence des énergies renouvelables.
L’enthousiasme initial autour des projets d’hydrogène vert en Europe a également été refroidi par plusieurs facteurs économiques. Jorgo Chatzimarkakis, PDG de Hydrogen Europe, a exprimé son inquiétude concernant la réglementation excessive du secteur, avec plus de 3 000 pages de législation qui, selon lui, pourraient finir par « tuer » l’industrie. L’augmentation des coûts de production de l’hydrogène vert et les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont complexifié la situation. De plus, la production d’hydrogène reste encore bien trop coûteuse par rapport aux énergies fossiles, et l’infrastructure de transport est insuffisante. À cela s’ajoutent les préoccupations liées à la compétitivité mondiale, avec des pays comme l’Inde qui émergent comme des producteurs d’hydrogène vert à faible coût, menaçant la position de l’Europe sur le marché mondial.
Dans un autre secteur, celui des batteries, l’entreprise suédoise Northvolt fait face à une grave crise financière. Après avoir perdu un contrat majeur avec BMW, le fabricant de batteries pour véhicules électriques a décidé de se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux États-Unis, afin de restructurer ses activités et sécuriser de nouveaux financements. Cette décision s’accompagne de la démission de son PDG et co-fondateur Peter Carlsson, qui restera néanmoins au sein du conseil d’administration.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
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