Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 4 avril 2025.
Marché de l'électricité
Quand la douane plombe le courant

Les marchés de l’électricité européens vacillent sous le poids des nouveaux droits de douane américains imposés par Donald Trump. En frappant l’Union européenne d’une taxe à 20 % sur les importations, le président américain a non seulement relancé les tensions commerciales, mais il a aussi déclenché une onde de choc sur les marchés de l’énergie. Résultat : la demande industrielle d’électricité – déjà fragilisée – s’enfonce, et avec elle, les perspectives de reprise économique, notamment en Allemagne, locomotive énergétique du continent.
Le marché carbone, baromètre de l’activité industrielle, a réagi violemment. Le contrat de référence EUA est tombé à son plus bas niveau depuis décembre, cassant un support technique clé. Même tendance sur le charbon, qui suit la descente.
À la une
Nucléaire : un redressement stratégique
La production d’électricité nucléaire en France a bondi de près de 7 % au premier trimestre 2025, atteignant 102,7 TWh, un sommet inédit depuis 2019 pour cette période.
Une performance tirée par une meilleure disponibilité des réacteurs : 49,5 GW de capacité moyenne, contre 45,9 GW un an plus tôt. EDF récolte ainsi les fruits de sa stratégie post-crise, marquée par une réduction maîtrisée des arrêts de maintenance depuis la découverte en 2022 du phénomène de corrosion sous contrainte.
Consommation en hausse, hiver oblige
Le climat plus rigoureux a dopé la demande électrique de 4 %, avec une consommation atteignant 130 TWh. Cette hausse a réduit le besoin de modulation à la baisse de la puissance nucléaire, offrant un terrain favorable au retour en forme du parc.
Des renouvelables contrastés
Si la production solaire a flambé (+38 %, à 5,1 TWh) grâce à 5 GW de nouvelles capacités installées, l’éolien et l’hydraulique reculent chacun de 11 %, pénalisés respectivement par une météo défavorable et une base de comparaison très haute en 2024.
Gaz et exportations en demi-teinte
Le recours aux centrales à gaz a légèrement diminué à 7,7 TWh, malgré un pic en février. Quant au solde exportateur d’électricité, il recule de 2 TWh, à 17,1 TWh, malgré une offre globale en hausse de 3 %, à 150 TWh.
La France renoue avec sa tradition nucléaire, mais l’équilibre du mix reste sous tension.
Les tendances électricité de la semaine par notre expert
Rebond électrique et crise nordique silencieuse
Au premier trimestre 2025, la demande d’électricité dans l’Union européenne a timidement progressé de 1,7 % sur un an, atteignant 729 TWh. Un regain certes, mais encore loin du pic de 2021 (757 TWh). La reprise est particulièrement marquée en Allemagne (+15 %, à 142 TWh) et en France (+4 %, à 146 TWh), après deux années de baisse. L’Espagne et le Portugal affichent aussi une consommation en hausse, tandis que la Pologne dépasse même son record de 2022. En revanche, la Scandinavie reste contrastée : hausse en Finlande et Danemark, chute en Norvège et Suède.
Dans les Balkans, la consommation a bondi de 5,2 %, dopée par un hiver plus rigoureux. Pour répondre à cette demande, les pays de la région ont intensifié leur recours au charbon (+9 %) et au gaz (+21 %), en raison d’une baisse drastique de la production hydroélectrique (-25 %). Le solaire monte en puissance, mais l’éolien recule. Le développement des renouvelables reste poussif, et le retour aux énergies fossiles s’impose, faute de mieux.
Dans le Grand Nord, l’électricité est abondante… mais bradée. Les prix se sont effondrés à moins de 10 €/MWh, mettant en péril les producteurs, notamment hydroélectriques. Les investissements sont gelés, les dividendes supprimés, et les centrales tournent à perte. Un paradoxe glaçant dans une région autrefois vitrine de la transition énergétique, aujourd’hui confrontée à une capacité d’exportation insuffisante.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Marché du gaz
Le calme plat avant la tempête

Les prix du gaz européen cherchent toujours une direction, flirtant avec leurs plus bas de l’année, plombés par des droits de douane américains jugés « préjudiciables » à la demande énergétique. Le contexte de faible activité industrielle, combiné à des températures d’avril plus douces que prévu, a fait chuter les anticipations de consommation. Pourtant, ce calme apparent pourrait n’être qu’un leurre.
Les stocks européens sont bas (34%), les flux norvégiens tournent au ralenti, et les maintenances d’infrastructures approchent. Une panne imprévue à Kollsnes a déjà réduit les exportations de gaz, préfigurant d’éventuelles tensions d’approvisionnement. Même les capacités de stockage pour l’hiver prochain se vendent à prix cassés en France : 1,44 €/MWh chez Teréga, contre plus de 5 € l’an passé. Les traders restent attentistes, préférant vendre plutôt que stocker.
Dossier spécial
Vertical corridor | Un projet stratégique à double tranchant
Pensé comme une bouée de sauvetage énergétique pour l’Europe centrale et orientale, le projet de gazoduc Vertical Corridor devait symboliser la sortie du gaz russe.
Reliant les terminaux GNL grecs à la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la Moldavie et l’Ukraine, ce corridor ambitionne de renforcer l’autonomie énergétique de la région.
Mais derrière cette vitrine de diversification se cache un paradoxe : la menace d’un retour massif du gaz russe… via la Turquie.
Le spectre du gaz russe plane toujours
Des experts, dont Sergiy Makogon, ex-dirigeant du gestionnaire de gaz ukrainien, s’alarment : la Russie pourrait profiter de cette nouvelle route pour contourner les sanctions et inonder à nouveau le marché européen.
En cause, l’utilisation possible du vieux gazoduc transbalkanique (27 Gm³/an), laissé en friche faute de modèle économique attractif pour les traders. Et avec des tarifs de transit jugés prohibitifs, la viabilité de cette alternative est encore loin d’être assurée.
Expansion régionale… et ambiguïtés géopolitiques
La Bulgarie démarre ce mois-ci les travaux pour augmenter la capacité du gazoduc avec la Grèce, et d’ici peu, le flux pourrait doubler entre la Grèce et la Roumanie. La Hongrie, de son côté, prévoit d’étendre sa capacité vers la Slovaquie de 25 %.
Mais pendant que l’UE s’engage à couper le robinet russe d’ici 2027, la Slovaquie signe un nouvel accord avec… Gazprom pour 3,3 Gm³ de gaz supplémentaires.
Conclusion : une diversification sous tension
Le Vertical Corridor promet beaucoup, mais risque de devenir une artère de transit pour le gaz qu’il voulait éviter. Entre impératifs d’indépendance énergétique et réalités géopolitiques, l’Europe marche sur une ligne de crête.
À la une
Cap sur les 90 % avec une boussole plus souple
Face à un contexte énergétique toujours incertain, les États membres de l’Union européenne demandent plus de flexibilité pour atteindre l’objectif de remplissage des stockages de gaz à 90 % avant l’hiver.
Un document de compromis, rédigé par la présidence polonaise de l’UE, propose d’assouplir les règles actuelles, notamment en autorisant des écarts plus importants vis-à-vis des objectifs intermédiaires, non contraignants, fixés avant la saison de remplissage. L’idée ? Tenir compte des réalités du marché, parfois malmené par la spéculation ou les tensions géopolitiques.
Vers un nouveau cadre plus pragmatique
Le texte confère à la Commission européenne le pouvoir d’autoriser des dérogations plus larges — au-delà des 5 points actuellement permis — si des conditions telles qu’une manipulation du marché entravent les capacités de stockage. Les critères pris en compte incluraient les prévisions d’approvisionnement d’Entso-G, les niveaux mondiaux de gaz disponibles et d’éventuelles distorsions de marché.
Un hiver qui s’annonce moins serein
La reconduction de l’objectif des 90 % jusqu’en 2027 est globalement soutenue, mais les modalités évolueraient : les États pourraient atteindre le seuil entre le 1er octobre et le 1er décembre, sans obligation de le maintenir ensuite. Une souplesse bienvenue, car l’arrêt des flux russes via l’Ukraine et un stock de départ plus faible font redouter une saison de remplissage plus complexe que les précédentes.
Les tendances gaz de la semaine par notre expert
Gaz, sanctions et manœuvres
Le Kremlin joue la montre. Vladimir Poutine a prorogé jusqu’au 1er juillet une mesure permettant aux acheteurs étrangers de gaz russe d’éviter de passer par Gazprombank, ciblée par les sanctions américaines. Initialement prévue pour expirer le 1er avril, cette exemption vise à maintenir la fluidité des transactions malgré les restrictions financières. Les États-Unis, eux, ont accordé à la Hongrie et à la Slovaquie un sursis jusqu’en mai.
En mars, la demande gazière en Espagne a progressé de 6 % sur un an, portée par les centrales thermiques (+15 %) en réponse à une baisse des énergies renouvelables. Les importations algériennes ont suivi (+3 %), tandis que les exportations vers la France ont chuté. Résultat : les stocks GNL atteignent 57 %, en forte hausse, mais les stocks souterrains stagnent.
Les importations européennes de gaz russe, qu’il soit liquéfié ou par pipeline, ont plongé de 21 % en mars. En cause : la fin du transit via l’Ukraine, les sanctions sur les terminaux russes de la Baltique et une baisse des prix. La France reste, paradoxalement, le premier client de GNL russe.
Rome prend les devants. L’Italie a mis en place un mécanisme incitatif pour remplir ses réserves de gaz à 90 % d’ici novembre. Objectif : sécuriser l’hiver prochain. Les enchères ont été avancées à février, mais peinent encore à trouver preneur.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
Cap vers le soleil, cap vers l’orage : la transition énergétique entre espoirs et turbulences
Allemagne : la révolution solaire bouleverse le marché de l’électricité
La spectaculaire montée en puissance du solaire en Allemagne – passé de 39 GW à 103 GW en une décennie – commence à déstabiliser les fondamentaux du marché de l’électricité. Kristina Hogh (Centrica Energy) parle d’un « tsunami solaire » : les contrats à long terme perdent en pertinence face à une production de plus en plus intermittente. Résultat ? Une multiplication des prix négatifs sur le marché spot, fragilisant les instruments classiques de couverture. Pour y remédier, les acteurs du trading plaident pour une refonte des produits standards, mieux adaptés à un mix dominé par les renouvelables.
Photovoltaïque : quand le prix du soleil fait de l’ombre à la rentabilité
L’écart grandissant entre les coûts de production solaire et les prix de marché alimente une crise de modèle. Les PPA (contrats d’achat direct) peinent à séduire, les « prix capturés » ayant fortement chuté en 2023 (60 % en Allemagne, 41 % en Espagne). La saturation du réseau, couplée à une concurrence accrue durant les pics solaires, pousse le secteur à chercher des solutions : hybridation (solaire + batteries/éolien), nouveaux investisseurs plus agiles, et recours stratégique au stockage – notamment via l’hydroélectricité. Un enjeu clé pour que le photovoltaïque reste viable à long terme.
Hydrogène vert : un rêve à 40 GW encore lointain
Ambitieux sur le papier, l’objectif européen de 40 GW d’électrolyseurs d’ici 2030 pourrait rester hors d’atteinte. L’étude conjointe de l’Université de Cologne et du CEAS pointe une réalité décalée : investissements à la traîne, dépendance aux matières premières critiques (souvent chinoises) et risques de désintérêt si l’hydrogène reste trop cher face au gaz ou à l’hydrogène bleu. L’UE joue gros sur ce levier de décarbonation industrielle, mais le pari est encore loin d’être gagné.
France et Italie : visions contrastées d’un avenir énergétique
À Paris, l’exécutif s’efforce d’imposer un nouveau décret sur le mix énergétique, au risque de froisser le Parlement et les pro-nucléaires. À Rome, le ton est plus offensif : face aux nouveaux droits de douane américains, l’Italie appelle à suspendre les règles climatiques européennes, pointant un Pacte vert jugé trop rigide et coûteux. Une fracture se dessine entre États membres sur le tempo de la transition énergétique – entre ambition climatique et impératifs industriels.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
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