Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 11 avril 2025.
Marché de l'électricité
Rebonds techniques et incertitudes durables

Le marché européen de l’électricité reste sous tension malgré un léger rebond des prix après l’annonce d’un sursis de 90 jours sur les droits de douane américains. Cette pause, bien qu’accueillie favorablement, n’a pas levé le voile d’incertitude qui plane sur les perspectives économiques mondiales. En Allemagne, les contrats de référence ont temporairement gagné du terrain, mais les fondamentaux – surcapacité de production renouvelable et faibles prix captés – restent préoccupants. L’essor de la production éolienne et l’afflux de GNL maintiennent les prix bas, tandis que les épisodes de prix négatifs deviennent plus fréquents.
Face à ce contexte, les acteurs du marché, à l’image de Danske Commodities, misent désormais sur des outils de prévision avancés et le trading algorithmique pour sécuriser leurs marges. À court terme, la volatilité est la seule certitude.
À la une
Nucléaire : le grand réveil Européen ?
L’Union européenne amorce un tournant stratégique en matière énergétique. La Commission européenne a annoncé le lancement de la phase de conception d’un projet IPCEI (Projet Important d’Intérêt Européen Commun) consacré aux technologies nucléaires innovantes.
Objectif : intégrer le nucléaire dans sa stratégie industrielle propre, déjà présentée en février, pour accélérer la décarbonation de l’économie.
Si le détail des technologies ciblées reste flou, cette décision pourrait combler un angle mort du futur cadre des aides d’État, actuellement en consultation jusqu’au 25 avril. Ce cadre a été critiqué pour ne pas reconnaître pleinement le rôle du nucléaire, notamment dans la production d’hydrogène bas carbone.
Malgré les délais longs inhérents à ce secteur, Bruxelles rappelle que les projets nucléaires — comme la prolongation des réacteurs belges ou la nouvelle centrale en Tchéquie — peuvent bénéficier de soutiens publics.
Londres mise sur une régulation incitative
De son côté, le Royaume-Uni passe à l’action. Pour accélérer sa “renaissance nucléaire”, le gouvernement vient de nommer John Fingleton à la tête d’un nouveau groupe de travail dédié à la réglementation.
Sa mission : Repenser le cadre réglementaire afin de lever les obstacles à l’investissement et construire plus vite, tout en maintenant les exigences de sécurité.
Cette initiative s’inscrit dans l’ambition britannique de porter la capacité nucléaire à 24 GW d’ici 2050, une étape clé de sa stratégie d’énergie propre.
Les tendances électricité de la semaine par notre expert
L’Europe entre appétit numérique et fragilité énergétique
D’ici 2030, la consommation des centres de données bondira de 66 %, atteignant 113 TWh. L’AIE tire la sonnette d’alarme : les réseaux électriques risquent la surchauffe. Dans certains pays comme l’Irlande ou l’Allemagne, les projets de data centers sont à l’arrêt ou dans l’attente de raccordements longs de plusieurs années. Seule consolation : 85 % de l’électricité additionnelle proviendra du nucléaire et des renouvelables.
Douze ans de retard, des milliards de surcoût, et des vibrations gênantes. Flamanville 3, joyau attendu du nucléaire français, peine à décoller. Officiellement, EDF vise toujours une pleine capacité cet été, mais en coulisses, des doutes persistent sur la fiabilité du turbo-alternateur. Réparations majeures à prévoir ?
Depuis le début de l’année, les exportations françaises vers l’Allemagne et la Belgique chutent de près de 50 % par rapport à 2023. Si les prix tiennent bon pour l’instant, la prudence reste de mise. Le printemps dernier a prouvé qu’un déséquilibre peut vite faire tanguer les marchés.
L’Allemagne a tranché : pas de découpage en zones de prix pour l’électricité. Berlin reste une zone unique avec le Luxembourg. Pourtant, les déséquilibres entre production nordique et demande industrielle au sud alimentent le débat. Stabilité tarifaire ou signaux de marché plus précis ? L’Europe observe
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Marché du gaz
Une fenêtre stratégique s’ouvre avec des prix au plancher

Les prix du gaz en Europe touchent des plus bas historiques, offrant une opportunité rare de sécuriser des volumes à coût très compétitif. Bien que la pause de 90 jours sur les tarifs américains ait provoqué un sursaut technique, les fondamentaux demeurent clairement baissiers : climat plus doux, abondance de GNL redirigé depuis l’Asie, et stockages encore peu remplis mais en progression. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine pousse les flux de GNL américain vers l’Europe, ce qui amplifie la pression sur les prix.
Le marché est dominé par les facteurs politiques, mais cette instabilité offre paradoxalement une chance inédite aux acheteurs avertis. Avec une demande modérée à venir et des infrastructures européennes renforcées, le moment est idéal pour consolider des approvisionnements à long terme. Le gaz est bon marché, disponible, et les conditions météo jouent en faveur des consommateurs : l’Europe a une carte à jouer, mais pas indéfiniment.
À la une
Trump, GNL et Europe : un trio explosif
Donald Trump frappe fort : acheter 350 milliards de dollars d’énergie américaine ou subir une taxe de 20% sur les produits européens.
Derrière cette injonction, une vision strictement comptable du déficit commercial entre les États-Unis et l’Union européenne, estimé à 236 milliards de dollars. Mais selon les experts, l’équation est intenable : le gaz naturel liquéfié (GNL) américain, déjà largement consommé en Europe, ne pourra pas combler ce gouffre.
GNL américain : déjà incontournable, mais insuffisant
En 2023, près de la moitié du GNL importé par l’Europe venait des États-Unis. Pourtant, les volumes ont chuté en 2024, passant de 62 à 51 milliards de mètres cubes. Pour Anne-Sophie Corbeau (Université de Columbia), même une hausse marginale ou des contrats long terme ne suffiraient pas. Les compagnies européennes, conscientes du déclin progressif du gaz, hésitent à s’engager davantage.
Dépendance énergétique : un parfum de déjà-vu
Le parallèle avec la Russie s’impose. « Fiable pendant des décennies », Moscou a laissé place à Washington, mais l’imprévisibilité de Trump inquiète. Patrice Geoffron (Paris-Dauphine) alerte : cette nouvelle dépendance pourrait s’avérer coûteuse, économiquement et géopolitiquement. Et difficile de s’en libérer : les alternatives restent limitées, tandis que les stocks européens sont au plus bas.
Les tendances gaz de la semaine par notre expert
Entre flexibilité gazière et virage énergétique
Alors que la Commission européenne propose de prolonger jusqu’en 2027 l’objectif de remplissage des stocks de gaz à 90 %, le Conseil de l’UE veut introduire plus de souplesse. Un texte en discussion permettrait aux États membres de déroger jusqu’à 10 points à cet objectif, en cas de « conditions de marché défavorables persistantes ». De plus, les pays auraient désormais jusqu’au 1er décembre – et non plus le 1er novembre – pour atteindre le seuil des 90 %, une mesure saluée par plusieurs parlementaires qui aimeraient même un objectif abaissé à 80 %.
D’après le gestionnaire européen Entso-E, près de 60 GW de capacité de production fossile (charbon, gaz, pétrole) risquent de devenir économiquement non viables dès 2026. Un chiffre qui grimpe à 67 GW d’ici 2028. En revanche, la viabilité de nouvelles centrales à gaz s’améliore, avec jusqu’à 73 GW attendus d’ici 2035, stimulés par la volatilité des prix. Mais prudence : peu d’investisseurs oseront miser sur un modèle si incertain.
À Berlin, la CDU/CSU et le SPD s’accordent sur un plan ambitieux : 20 GW de nouvelles centrales à gaz pour accompagner la sortie du charbon. L’objectif : garantir la sécurité énergétique sans revenir au nucléaire. En parallèle, le pacte prévoit des mesures pour faire baisser les prix de l’électricité.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
Énergies vertes : entre tensions, espoirs et désillusions
Le marché des garanties d’origine patine
Cette semaine, les prix des garanties d’origine (GO) européennes sont restés étonnamment calmes, oscillant entre 0,15 et 0,25 EUR/MWh pour la production 2024. Mais derrière cette stabilité apparente se cache un marché plombé par un excédent de certificats de l’an dernier et une activité commerciale en berne.
À cela s’ajoute un facteur météorologique déterminant : un déficit attendu dans le bilan hydrologique de la Norvège, lié à une fonte des neiges insuffisante dans le sud du pays. De quoi freiner la baisse des prix… temporairement. Car à plus long terme, la faible demande industrielle et le report des exigences de reporting ESG par la Commission européenne risquent de retarder une vraie reprise des cours.
Éolien offshore : une coopération à 1 000 milliards d’euros
C’est un chantier titanesque que préparent une douzaine de gestionnaires de réseaux européens : la création de dix hubs éoliens en mer du Nord, interconnectés et capables de fournir près de 40 % des besoins électriques européens d’ici 2040. L’objectif est d’éviter les doublons, mutualiser les coûts et sécuriser l’approvisionnement dans un contexte géopolitique tendu.
Mais attention, ce projet n’en est qu’à ses débuts. Si les GRT veulent croire à une coopération renforcée, les récents freins posés par la Norvège et la Suède sur leurs interconnexions rappellent que la coordination reste un défi politique autant que technique.
Italie : l’offensive contre le Pacte vert
Rome hausse le ton. Sous pression face à la montée des prix de l’électricité (108 EUR/MWh, bien au-dessus de ses voisins), le gouvernement italien réclame un moratoire sur les règles du Pacte vert européen. Selon ses ministres, ces politiques menacent l’industrie automobile et plus largement la compétitivité nationale. « Désertification industrielle », accuse même un ministre. Un signal fort des tensions croissantes entre ambitions climatiques et réalités économiques.
Éolien terrestre : la CRE veut casser les prix
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) s’inquiète : lors du dernier appel d’offres, les prix proposés pour les projets éoliens terrestres étaient trop proches du plafond, suggérant une possible fuite d’informations. Résultat : elle recommande de baisser ce plafond pour la prochaine enchère. Une mesure qui pourrait refroidir certains développeurs, notamment européens, et ouvrir la voie à des fournisseurs extra-UE. Dilemme entre rigueur budgétaire et souveraineté industrielle.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Avis